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La générosité et la force du cœur

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À 84 ans, Nicole Rochowiak incarne la générosité et la force du cœur. Depuis Abscon, elle soutient sans relâche l’Ukraine, organisant les collectes de vêtements, médicaments et jouets via Action Ukraine (petite association locale qu’elle et son fils ont créée) et s’est tournée vers le Portail de l’Ukraine pour l’envoi des dons.

Tout ceci malgré la fatigue et la maladie. Bercée par une vie entière d’entraide – paroisse, culture, solidarité – elle a toujours tendu la main à ceux qui souffrent.
Marquée par la perte de son mari et les épreuves personnelles, elle reste debout, guidée par un profond désir de partager et d’apaiser. Son parcours est celui d’une femme qui, toute sa vie, a choisi l’amour et la résilience.
Mme Rochowiak continuera, à son rythme, à offrir son temps et son énergie.

Nicole Rochowiak habite à Abscon, entre Douai et Valenciennes. Elle est entrée en contact avec le Portail de l’Ukraine pour trouver un moyen d’acheminer ses collectes jusqu’en Ukraine. C’était en mars 2024. Elle a beaucoup donné, et son réseau local aussi ! Pas seulement en matériel. Elle s’est beaucoup investie, comme un certain nombre d’entre-nous. Seulement, Nicole a 84 ans et quelques soucis personnels l’ont contrainte à « lever le pied ». À son grand désespoir, elle a fortement ralenti.

Ben oui, nous sommes quelques-uns à le savoir, c’est impossible de s’arrêter… mais il faut aussi penser à « penser à soi ! »

Nous avons voulu lui donner la parole pour qu’elle nous raconte ce moment de sa vie et son parcours d’entraide à l’Ukraine. Une période toute particulière également parce qu’elle a pu faire un point sur cette vie, riche de solidarité, de générosité et de douleurs aussi. Elle m’avouera, je pense que j’ai le droit de l’écrire ici, qu’elle a pris conscience seulement très récemment, qu’elle n’a, jusqu’à ces jours qui précèdent notre discussion, pas fait le deuil de son mari, parti récemment. Et c’est forcément très brutal.

Une raison supplémentaire d’avoir besoin de parler.

Cet entretien met cette dame à l’honneur et nous permet de lui dire, comme nous le faisons avec beaucoup d’autres, un profond et sincère merci. Échange riche, intime et animé.

Ingrid, qui la connaît un peu, puisqu’elle et son Jean-Pierre, tous deux bénévoles au Portail, sont venus plusieurs fois chez Nicole pour charger des colis, est là aussi pour discuter avec elle.

D’entrée, Nicole nous explique qu’elle doit passer la main à son fils, avec qui elle a créé Action Ukraine, leur petite association locale.

Nicole : C’est lui qui va collecter là-bas. (Son fils habite en Haute-Savoie.)

Il va se débrouiller. C’est quand même lui le président, après tout.

Philippe : Exactement. En général, les présidents d’associations, je ne ferai pas écouter ça à Iryna, mais ils ne font rien…

Rires collectifs !…

Philippe : Président c’est normalement, c’est…  Voilà, tu regardes ce qui se passe, tu observes.

Nicole : Il n’y a pas beaucoup de temps morts.

Ingrid : Tu chapeautes, tu diriges.

Philippe : Iryna, elle chapeaute. Elle fait. Elle est ici. Elle est là. Elle n’arrête pas…

Ingrid : Oui… C’est ce que je disais à Jean-Pierre, hier ; Hier c’était l’Assemblée Générale. C’est vrai que… Ben toi tu te rends compte, peut-être plus. Mais nous, on est plus extérieurs, quoique maintenant…

Mais c’est vrai que c’est ce qu’elle disait, bon, il faut… Pour les camions, le tris, les chargements, il faut téléphoner. Répondre au téléphone après, pour les véhicules. Je pense que les véhicules, ça devait être un sacré (boulot)… Parce qu’il faut savoir où on les achète, faut savoir comment on les (achemine)…

Philippe : Ça faisait partie du travail que faisaient Christophe et Lusy (cofondatrice du Portail de l’Ukraine. Toujours active elle-aussi.) Lui a quitté l’association depuis plus d’un an. C’était un gros, gros boulot. Maintenant, c’est plus par contacts.

Ingrid :  Oui, oui.

Philippe : Parce qu’il y a des contacts un peu partout, notamment en Grande-Bretagne. Il y a un réseau qui est dynamique. Donc régulièrement, on bénéficie de ces réseaux-là.

D’autre part, si nous sommes là tous les deux, c’est parce que ça nous fait plaisir déjà. Vous nous avez effectivement raconté votre situation, plus compliquée maintenant. On va dire comme ça.

Nicole : Malheureusement.

Philippe : Oui, mais c’est la vie.

Nicole : Je ne suis pas toujours bien. Quelque fois, je vais me mettre debout. Ne vous étonnez pas si je me mets debout. Et que je m’arrête…

Philippe : Vous nous direz. On s’adapte.

Nicole : Je… C’est pas encore bon. C’est une histoire de nerfs maintenant, donc, c’est vrai que… Je mettrai le temps.

Philippe : Oui, puis en général, quand c’est sérieux, ça prend un peu de temps. Mais si vous faites ce qu’il faut, ça va bien aller.

Nicole : Oui, oui.

Philippe : Et c’est pour ça, vous avez quand même… Je ne sais pas combien de fois on est venus.

Nicole : Ah !… Ça fait un an.

Oui. Oui, ça fait un an. Oh, je ne sais pas combien de fois vous êtes venus… Et puis, c’était des gros chargements.

Ingrid : Moi, je suis venue après.

Philippe : Oui, mais au total… Je sais pas combien de fois on est venus remplir des véhicules. C’est ça que je veux dire. Oui, oui. Parce qu’il y a ta voiture, il y a ma voiture, il y a la fourgonnette de Didier.

Nicole : Puis il y avait les camionnettes, même quand elles n’étaient pas remplies. Il y avait pas mal quand même… Oui, oui, oui. Je me suis surtout centrée, au début sur le linge, les vêtements. Mais après, je me suis dit les médicaments, c’est important. C’est pour ça que j’ai eu contact avec mon pharmacien. Je lui ai dit : « Eric. J’ai besoin de médicaments. Et de prothèse. » Il y a eu des prothèses ! Il y a eu pas mal de choses… Les médicaments, c’est plus compliqué.

Ingrid : Des jouets, je me souviens l’année dernière, il y avait beaucoup de jouets.

Nicole : Oui, mais ça, j’avais fait pour… J’avais demandé, j’avais mis des affiches en disant c’est bientôt Noël, pensez que nous, nos enfants vont avoir beaucoup de choses et que là-bas, il y a des enfants qui n’auront rien du tout. Donc, c’est vrai que les gens ont été assez généreux. Et puis, j’ai refait des galettes, que j’ai vendues, et avec le produit, j’ai acheté des jouets neufs.

Philippe : C’est comme ça que vous avez commencé, pour les enfants. C’est ce que vous faisiez déjà ici, en fait.

Nicole : Oui, c’est mon fils, un jour, il me téléphone, et me dit : « Tu sais, maman, il faudrait faire quelque chose pour l’Ukraine. » D’autant que ma petite belle-fille est Ukrainienne, elle est de Lviv, la grosse ville qui s’est faite bombarder, il n’y a pas longtemps. Et il me demande si je veux être trésorière. Oui. Oui, pas de soucis. De toutes façons, mon fils sait que j’ai toujours fait des… des œuvres, notamment pour la paroisse.

J’avais même créé, il n’y avait rien (et il n’y plus rien d’ailleurs) une société de jeunes, qui étaient de quatre à vingt ans, et qui faisaient du théâtre. C’était pas rien ! C’était faire les costumes, c’était… Et ils ont joué Napoléon, ils ont joué… Mais on ne faisait pas n’importe quoi. Et il y avait quatre grandes qui les dirigeaient. Ils avaient du succès.

Je me souviens de mai 89. J’ai dit si on a le feu, qu’est-ce qu’on fait ? La salle des fêtes était bondée. Il y avait des gens assis sur les radiateurs, sur les appuis de fenêtres, partout, partout. Mais quand je me suis assise dans la salle, quand tout était terminé. Je me suis assise en bord de scène. Je me suis mise à pleurer. Je n’en pouvais plus, c’était… On avait fait ça en grand ! J’avais un ami cuisinier. On avait cherché des menus de l’époque. On n’a pas eu assez, tellement ça a eu du succès. Mais écoutez, le lendemain, je n’osais pas sortir, les gens me disaient. « Nicole, on n’a jamais vu ça ici. » 

On l’a fait une fois, au moins.

Philippe : Voilà ! Et c’est vrai que c’est de l’investissement.

Nicole : Oh la la la ! Au début, mon mari en avait… par dessus la tête de la société. (Elle rit aux éclats). Parce que ma fille était investie. J’étais investie, mon fils aussi. Bon, lui venait donner un coup de main pour poser les décors. Bon, c’était pas… C’était pas qu’il ne s’y intéressait pas… Mais c’était l’envahissement de la maison qui était… Déjà, à l’époque (référence aux stockages de cartons que nous sommes venus charger.)

Philippe : Bah oui, mais c’est aussi pour ça que… C’est pas la seule raison, mais c’est aussi pour ça qu’on est fatigué au bout d’un moment.

Nicole : Oui, et puis là, bon, c’était en 89. Je n’avais que 48 ans. Donc… Dans deux mois, ce sera 84, c’est autre chose.

Philippe : Bah oui, mais justement, vous avez aussi le droit de ralentir. Quelque soit les raisons.

Nicole : J’ai du mal.

Philippe : Bah oui, je me doute… Vous savez, comme je disais tout à l’heure, on est là, nous, parce que c’est nous que vous avez vu le plus souvent.

Mais Iryna, je plaisantais tout à l’heure par rapport au président d’association. Je ne sais plus exactement pour quelle raison vous êtes venue dans la conversation, et Iryna me dit qu’il faudrait que je retourne voir Madame Rochowiak pour lui demander pourquoi elle s’est lancée…

Nicole : Comme je disais, c’est mon fils qui m’a proposé d’être trésorière, parce qu’étant donné que son épouse est Ukrainienne, il a voulu, ils ont voulu faire quelque chose.

Philippe : Oui, c’est cohérent. Et dans la question sous-entendue d’Iryna, parce que ça elle le sait, je l’ai raconté plusieurs fois. Ingrid aussi. Nous on sait déjà un petit peu, mais en fait la question est rhétorique, parce que c’est plus pour vous dire merci. En fait, elle veut dire merci.

Nicole : Ça m’a fait énormément plaisir de le faire.

Philippe : Mais oui, c’est pour ça que nous faisons ça aussi.

Nicole : C’est dans mes habitudes. Que ce soit pour la paroisse et autres, même si là j’en suis revenue. Si vous voulez, il y a une messe tous les quatre mois. Donc en général, c’est à Escaudain, c’est dans le secteur. Et bien, de tous les « bons catholiques » et je l’ai dit, je ne me suis pas gênée, parce que ça ne passe pas, personne ne m’a jamais proposé de dire, on te prend dimanche pour aller à la messe, jamais ! Mon mari dirigeait la chorale. On faisait des répétitions, les vendredis. On allait à la messe les dimanches, quand il y avait des mariages, on était demandé pour chanter aux mariages. Oui, bon, mon mari était musicien, donc il fallait que ce soit bien ou pas du tout. Il était très perfectionniste. Et on a tellement eu l’habitude, on a tellement fait de bénévolat que pour moi, c’est naturel. C’est naturel. Je n’attends pas de merci. Mais ça, sachant qu’aller à la messe ça me ferait plaisir. C’était presque un besoin, pour moi, d’aller à la messe le dimanche, bon, je regarde à la télé mais c’est pas pareil. C’est pas pareil.

Ingrid : Parce que ça coûte pas grand-chose de passer devant votre porte et de vous conduire à la messe.

Nicole : Ma voisine y va ! En voiture ! C’est comme ça… 

Philippe : La société individualiste.

Ingrid : C’est comme ça maintenant.

Nicole : C’est comme ça. Avant on n’aurait pas vu ça. On essayait d’aider les uns, d’aider les autres. Je ne sais pas. C’est… Je trouve que c’était naturel. Mon papa était comme ça. S’il y avait un voisin en peine, il allait l’aider. Je l’ai toujours vu faire. Donc je…

Philippe : C’est dans les gènes, quasiment.

Nicole : (Elle rit) Oui.

Philippe : Mes parents étaient catholiques, pratiquants. Et, à la fin de sa vie, ma mère était rédactrice (en chef) dans un journal qui s’appelait le Gué dans lequel elle écrivait beaucoup.

Nicole : Moi aussi ! J’ai rédigé des articles dans le journal catholique de la paroisse. Je ne sais pas ce que je n’ai pas fait.

Philippe : Je raconte ça parce que mon investissement dans le bénévolat n’a que trois ans. Moi, avant, j’avais envie. Je me disais qu’il fallait faire quelque chose. Mais j’en étais pas capable. Personnellement, psychologiquement,

Nicole : Et qu’est-ce que vous y a amené alors ?

Philippe : La genèse de tout ça, c’est un très gros travail psy. Pendant 8 mois avec un psychiatre en 2021. Et à partir de là, je me suis dit, bon, apparemment, je suis plus costaud. Ça fait du bien. Et puis, malheureusement, cette attaque russe de 2022 est arrivée. Et… Je me suis dit, là, je peux faire quelque chose. En fait, au départ, j’étais au volant de mon camion. Je me suis dit, je vais me servir de ce que je fais professionnellement. Je vais conduire un camion jusque là-bas et voilà !

C’est pas si simple que ça en réalité. Parce qu’il faut des autorisations, etc. Finalement, ça s’est fait autrement. On a fait des convois avec une autre association pour aller chercher les gens. Donc, nous sommes allés chercher presque 300 personnes, jusqu’à Varsovie, puisqu’on ne franchissait pas la frontière. Et c’est vrai que du coup, on rencontre les gens. Parce que vous, vous avez un lien naturel, une raison naturelle de vous investir là-dedans. Moi non, je ne connaissais personne. J’avais aucun lien. J’avais aucune raison particulière, sauf l’envie d’aider, en fait. On en est tous là, en réalité. Et du coup, ça c’est fait comme ça. Et puis, cette association était déjà en lien avec le Portail de l’Ukraine. Vous y êtes entrée par une autre porte, mais vous y êtes entrée aussi.

Nicole : J’ai cherché, et je me souvenais que, un dimanche de Pâques, on est allé, je ne sais pas si c’est Lille même ou pas, à une messe orthodoxe catholique, ma belle fille est orthodoxe catholique. Et en sortant, elle dit, on va aller au magasin. C’est une boutique (le Comptoir de l’Est) où il n’y a que des produits de l’Est. Et donc, on est allés acheter des produits, parce qu’elle avait envie de produits de son pays.

Ingrid : C’est un de nos points de collecte. Il y a des gens qui déposent des choses là. C’est un relais.

Philippe : Et en fait, comme on allait chercher des gens on avait des véhicules qui permettait de transporter des gens. Mais du coup, pour éviter de voyager à vide, on a chargé des colis du Portail de l’Ukraine dans ces véhicules-là. Et c’est comme ça qu’on les a expédiés en Pologne et puis après, on allait chercher les gens. Et voilà, une fois que les gens sont là, qu’est-ce qu’on fait ? On les installe dans des maisons, parce que c’était le contrat de départ. On ne mettait des gens dans les véhicules qu’à condition qu’ils aient un toit en arrivant ici. Et puis, on les a accompagnés avec une autre association pour qu’ils s’intègrent, pour qu’ils se posent, pour qu’ils soufflent. Enfin elles, parce que c’était essentiellement des femmes, avec les enfants. Et puis, voilà, pourquoi s’arrêter là ? Il y a encore des choses à faire. Donc, le Portail de l’Ukraine, naturellement. Et puis voilà, on fait des collectes, on va à droite, on va à gauche, on fait des kilomètres, des kilomètres et des kilomètres. Et puis on ne réfléchit pas, on y va. Au final, je suis en lien avec des gens, des vrais gens.

J’ai passé beaucoup de temps avec les mamans et leurs enfants, parce que je travaille la nuit. Donc la journée, j’ai du temps. Et du coup, elles m’ont parlé beaucoup, elles m’ont raconté leur voyage.

Nicole : Moi, j’ai des regrets de ne pas pouvoir continuer. Je continuerai pour les petites choses, la layette, tout ça, mais je ne peux plus continuer aussi gros que j’ai fait.

Philippe : Moi, en fin d’année dernière, j’étais épuisé. Mais épuisé. Et je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite.

Nicole : Oui, c’est ça. Parce que c’était jour et nuit, en fait.

Philippe : Oui, puis parce qu’à un moment, il n’y avait plus que ça. Pendant une période relativement courte, il n’y avait quasiment plus que ça. Parce que ça remplit aussi les journées.

Nicole : Oui, voilà.

Philippe : Et puis, au bout d’un moment, je me suis dit que pour pouvoir continuer, il allait falloir souffler un peu. Et puis penser un peu à soi. J’avais oublié un peu de m’occuper de moi… 

Nicole :  C’est ce que je n’arrive pas à faire.

Philippe : Ah oui, mais c’est essentiel pour l’être humain.

Nicole : Vous voyez, j’ai mon voisin deux portes au-dessus. Un jour, je vois sa fille. Je lui demande comment ça va, elle me répond « pas trop. c’est papa, il souffre ». Il a perdu son épouse deux ans après que j’ai perdu mon mari. Et on s’est toujours connu, parce que moi, il y a 58 ans que j’habite ici. Et lui aussi. Donc, je lui demande ce qu’il lui arrive. Elle dit : « Tu sais, il veut se suicider ! »

Il dit qu’il ne veux plus manger. Et bien, vous savez ce que je fais maintenant. On mange ensemble. Je fait mon repas pour deux. Il vient, il mange, il retourne et puis voilà, et puis…

Ingrid : C’est bien.

Nicole : Et maintenant, il me le dit : « Tu sais, tu m’as quand même sauvé la vie. J’avais déjà calculé comment faire avec quoi… » Je dis : « Non mais bon. Tu l’as pensé, maintenant, tu l’oublies. Oui oui. On fait une croix, c’est terminé. »

Philippe : Oui, ça lui a fait du bien à lui, mais ça vous a fait du bien à vous aussi.

Nicole : Bien sûr. Mais bien sûr. Moi qui étais toujours toute seule pour manger. Ben on mange tous les deux. C’est bien. Voilà.

Nicole nous offre de quoi boire et quelques petits gâteaux, nous faisons une petite pause… 

Nous trinquons aux bonnes volontés.

Nicole reprend : J’espère que vous en trouverez encore (des bonnes volontés.)

Philippe : Oh oui. On est régulièrement rassurés.

On en avait parlé, alors j’ai fait une sélection de photos avec diverses personnes là-bas. Comme ça,    on voit à qui sont distribuées nos collectes. Je pense que ça permet de se rendre compte… 

Ingrid : Ceux qui vous ont donné au moins vous pouvez leur montrer.

Nicole : Oui, oui, oui, oui, oui. Absolument. Isabelle, c’est une assistante vétérinaire. C’est ma voisine. Donc elle me dit, je pourrais en mettre au moins deux ou trois au cabinet.

Philippe : Sur celle-ci, il fait nuit alors on voit à peine, vous avez Olga. Et Olga, c’est un de nos contacts privilégiés en Ukraine. C’est une hyper-active là-bas. On a eu la chance de la rencontrer en fin d’année dernière. Elle est venue en Europe pour rencontrer les partenaires.

Ingrid : Ah oui, Olga ! Celle qui s’occupe des loulous (les animaux).

Philippe : Voilà, notamment. Elle a créé une sorte de SPA local par exemple. C’est un personnage central.

Bon, ce n’est pas spécifiquement vos collectes que nous sommes venus chercher ici. Mais ça permet de se rendre compte, je pense. Je crois qu’il y en a une avec un vélo aussi, parce qu’on a eu l’opportunité d’envoyer des vélos il y a quelques temps. Si vous en souhaitez d’autres, c’est possible, bien sûr.

Et alors ça, pour l’anecdote, parce que quand même, cette petite carte là avec le dessin, c’est une dame qui s’appelle Liubov. Ça veut dire amour en ukrainien. Lors de notre mission à Lviv, ça va faire un an, nous avons rencontré cet autre personnage ! C’était sur un marché, un petit marché derrière l’opéra de Lviv, et elle nous en a donné 50, peut-être, des petites cartes comme ça. En fait, c’est elle qui dessine. Dessus, c’est marqué Bce dobré Ukrainia : Tout ira bien pour l’Ukraine. C’est sa carte de visite en quelque sorte. Et, de temps en temps, Oksana, qui faisait partie du voyage, met ces petites cartes dans les envois.

Ingrid : C’est bien, c’est bien.

Nicole : Ma belle fille avait fait venir sa mamie. Et laisser sa maison, son chien, elle a pas supporté.

Ils ont tout essayé, mon fils et elle, mais…

Ingrid : Oui, il y en a qui repartent. C’est vrai que…

Philippe :  Les plus anciens souvent. On a plein de situations comme celle-là.

Ingrid : Il y avait un couple d’Ukrainiens qui étaient à Bersée. Un couple de personnes âgées avec leur fille, beau-fils et petit garçon. On les a installés. Jean-Pierre les conduisait à la messe, et puis ils sont repartis. La fille, beau-fils et le petit sont partis en Irlande. Parce qu’ils avaient un autre fils en Irlande. Quand la guerre s’est déclarée, leur fils venait de se marier. Et il était en voyage de noces. Donc, il est parti en Irlande. Mais apparemment, c’est compliqué en Irlande. On n’a pas du boulot comme ça. C’est très, très compliqué. Et le couple de personnes âgées est reparti.

Nicole : Et ils tiennent à leurs (maisons)… Je comprends, ce sont des gens qui n’ont jamais eu la vie facile. La grand-mère à réussir à faire sa maison. Elle a je ne sais pas combien de poules. Elle fait son jardin. Alors, bon, laissez tout ça c’est très difficile.

Philippe : Liubov, la dame en question, c’est elle sur la photo. Avec Oksana qui est la vice-présidente du Portail de l’Ukraine. Donc là, on est sur le petit marché de Lviv.

Nicole : On parlait de l’opéra de Lviv, le parrain de ma belle-fille est chanteur là. Ils voulaient m’emmener (à l’opéra), mais quand j’y suis allée, il n’y avait rien. Il parle bien français. Ils ont fait les principales villes de France. Ils sont venus à Lyon, Bordeaux, Lille. Donc, on a pu s’exprimer un peu en français, tous les deux, parce que moi, quand j’allais là-bas, j’étais un petit peu perdue. 

Et ce que mon fils aime beaucoup là-bas, c’est que sur les marchés, les produits sont naturels, ils cherchent pas à les laver. Il dit que ça lui rappelle son papa, quand il cueillait les légumes dans le jardin ! C’est exactement ça. Lui, il aime l’art de vivre là-bas. (Nicole revient sur les photos) Oui, c’est très bien, comme ça, on pourra faire voir tout ça.

Ingrid : Hier, Jean-Pierre a eu un message de sa nièce, Natalia, dont le fils fait du cyclisme. Nazar a un niveau, quand même assez élevé. Et il va être entraîné par celui qui est venu au CREPS de Wattignies et qui entraîne l’équipe nationale. Jean-Pierre lui dit : « Quand tu feras le tour de France, tu viendras par ici… »

Philippe : On a fait ça aussi. C’est un point commun avec Jean-Pierre, Ingrid (et d’autres) c’est qu’on a aussi transporté des sportifs venus pour les qualifications des J.O.

Ingrid : Ils étaient logés au CREPS de Wattignies, et il fallait les conduire presque tous les jours au Vélodrome de Roubaix.

Je propose un petit gâteau à Nicole… Elle le refuse et nous explique avoir un diabète.

Nicole : Il n’y a pas longtemps que je suis concernée. J’ai été opérée de la colonne vertébrale. Et à un moment donné, j’ai eu tellement mal que le docteur a doublé certains médicaments. Ce sont ces médicaments qui m’ont donné le diabète. Alors, maintenant, voilà. Je suis condamnée !

Retour aux photos.

Philippe : C’est encore Olga qui est là. On la voit un peu mieux.

Ingrid : Je la suis sur les réseaux. C’est fou ce qu’elle a fait. (Et qu’elle continue de faire.)

Elle était avec une dame, une fois, elles étaient en nage, il devait faire chaud. Je ne sais pas. Elles allaient presque sur la ligne de front. Chaque fois qu’il y avait une vidéo, je regardais.

Philippe : Oui, Olga, tout comme Iryna, Oksana et tellement d’autres, en font énormément ! Difficile d’imaginer que leurs journées ne font que vingt-quatre heures. Nous leur disons régulièrement. Contrairement à ce que je disais en plaisantant, au début, Iryna n’est pas une présidente qui regarde les choses de loin.

Daria, une autre Ukrainienne, lors de notre Assemblée Générale, l’a même interpelée en lui disant qu’elle ne savait pas comment Iryna faisait. Entre la vie de famille, le travail et les activités autour, plus donc l’association et tout ce que ça exige. À un autre niveau, c’est aussi pour cela que j’ai connu une énorme fatigue en fin d’année dernière.

(J’enchaîne en lui présentant mon livre, que je lui offre ce jour-là. Elle en achètera un autre exemplaire dans la foulée.) Parce que ça, je crois que je ne vous en ai pas parlé. C’est un livre de témoignages. En fait, c’est les gens dont j’ai parlé tout à l’heure. Les mamans et les leurs enfants qu’on a accompagnés et avec lesquels j’ai donc passé beaucoup de temps. Et j’avais besoin de raconter. « Pourquoi ce monsieur vient me demander de raconter notre histoire ? Qu’est-ce qu’il en a à faire ? » Et bien, c’est ma manière d’apporter une aide différente et personnelle, tout en permettant à ces histoires d’être connues. Et tous les bénéfices vont au Portail, donc à l’Ukraine. Voilà. Je voulais que vous l’ayez.

Nicole : Je vous en remercie beaucoup. Je crois que ce soir, je sais ce que je vais faire…

Philippe : Alors, préservez-vous quand même, parce qu’il est petit le livre, il n’y a que 160 pages, mais elles sont riches. (J’explique un peu l’histoire de ce livre. Notamment la participation importante d’Olga Dudnik pour la traduction avec les non-francophones.)

Nicole : Ma belle-fille parle ukrainien, bien sûr, polonais, anglais. Elle ne parlait pas du tout français quand elle est arrivée ici. Alors c’est vous dire, elle était désorientée la pauvre. Elle se retrouvait dans une famille qu’elle ne connaissait pas. C’était dur au début. Mais maintenant elle parle aussi le français.

Ingrid : Votre mari est Polonais ?

Nicole : Mon mari n’était… Son papa était Polonais et sa maman était Française.

Ingrid : Jean-Pierre, confond quelquefois le polonais et l’ukrainien, même s’il comprend les deux. Les anciens étaient sous domination polonaise. Donc ils comprenaient le polonais. Ça se ressemble un peu.

Nicole : Elle (sa belle-fille) a des tantes qui sont en Pologne.

Philippe : Lviv a été polonaise pendant un temps.

Nicole : Elle ne connaît pas son vrai papa. Il est décédé, mais il était parti en Russie. Et elle sait que là-bas, il s’est marié et qu’elle a un frère, mais qu’elle ne connaît pas. Combien de fois, elle a dit : « J’aimerais bien connaître mon frère. »

Philippe : Ils le racontent presque tous, le lien avec ce voisin encombrant.

Olga est même remonté jusqu’en 1991, l’indépendance. On a aussi parlé de l’Holodomor, la famine imposée par Staline en 1933.

Ingrid : Je me souviens dans le bouquin. Il y en a une qui parle de l’Est de l’Ukraine. C’est… Ils sont descendants de russe, en fait. Puisque Staline les a affamés et remplacés par les Russes. Et… Et pourtant elle dit : « On est Ukrainiens ! » Et c’est vrai qu’on dit toujours qu’à l’Est de l’Ukraine ce sont des Russes. Mais elle, je me souviens, elle disait : « On sait parler russe, mais tous les Ukrainiens savent parler russe. Et… On est ukrainiens avant tout ! »

Philippe : Oui, autant les Ukrainiens parlent russe, autant les Russes ne parlent pas ukrainien.

Ingrid : En 2012, quand on y est allé, on a passé quatre jours à Kyiv. Et… Donc c’est en 2012, il y avait déjà des tanks. Il y avait des gens qui faisaient la grève de la faim. Parce que les Russes voulaient établir le russe comme deuxième langue officielle.

Nicole : Et… on ne sait pas quelle tournure ça va prendre, là maintenant. Avec le Président Américain… J’ai pas bien suivi, parce que j’étais à Rome…

Ingrid : Depuis qu’ils ont parlé du cessez-le-feu, j’ai l’impression qu’ils se tapent encore plus dessus… il y a des drones. Mais hier, on a pas bien compris, alors c’était… Les Ukrainiens ont fait une avancée à Belgorod… 

Nicole : À 5 heures, j’ai ouvert la télé, et il me semble qu’il y avait eu une attaque de drones. Je ne sais pas… Je ne sais pas comment ça va…

Philippe : Vous êtes encore un peu dans un palier de décompression de votre séjour avec votre fille.

Nicole : Oui, c’est vrai.

Philippe : Oui. Il faut que vous en profitiez. Tant que c’est encore frais.

Ingrid : Vous êtes allées combien de temps là-bas ?

Nicole : Oh, six jours. Mais je n’avais jamais vu Rome. C’était un rêve de mon mari, enfin, de nous deux. Normalement, quand on a fêté nos 50 ans de mariage, on devait y aller. Bon, il y a eu un événement qui a fait que… Bon, on n’est pas allés. Et… Là, ma fille… Elle était déjà allée une fois. Elle me dit qu’elle va aller à Rome avec son amie Katrien, qui l’invite. Et elle me dit qu’elle m’emmène à Rome. Oh, j’étais contente. Parce que Katrien habite un grand immeuble des années 20, voyez, c’est… c’est joli. Elle a cinq chambres au dernier étage. Donc, on était ensemble avec ma fille, c’était bien. On a été gâtées.

Je n’ai pas fait la galerie, par contre, parce que ma fille me dit, tu peux la faire si tu veux, mais ce sont des kilomètres de tableaux et tu ne verras pas ce qui serait peut-être plus intéressant pour toi. J’ai préféré voir le Vatican. La villa Borghèse aussi. Le Colisée.

Philippe : Je peux me permettre de vous demander, quand avez-vous fêté vos 50 ans ?

Nicole : Nous nous sommes mariés en 63, donc en 2013. Du coup, là, on se préparait à fêter nos 60 ans. Mon mari est parti trop tôt. Bêtement, en plus. J’en veux un peu au kiné qui n’a pas bien fait son travail. Pas bien du tout. 

Mon mari a fait une phlébite, il a fait une embolie, une embolie massive. Il faisait 1m83 et 80 kilos. Je ne pouvais pas l’aider à la toilette. Il avait fait un cancer du mésentère. Et l’oncologue avait dit que le protocole avait super bien marché. « Vous êtes en rémission ». On était contents, lui surtout, était content.

Et puis ce kiné est réputé pour ne pas être trop sérieux, je ne comprends pas, je n’ai pas fait attention.

Enfin, et la nuit, il me dit : « J’ai mal dans les jambes ». Et moi, qui ai travaillé dans le médical, dix ans de clinique, je n’ai jamais fait le rapprochement, jamais ! Parce qu’en plus, il avait fait une chute et il s’était fracturé une vertèbre. Donc, il ne bougeait pas facilement. Je lui ai dit : « Met-toi sur le côté comme tu peux, je m’en vais te faire une boisson, je te masserai les jambes. Et puis, peut-être, tu arriveras à t’endormir. »

Il était trois heures du matin. Bon, on a fait comme ça, il s’est endormi. Le lendemain matin, il s’est levée à 8 heures quand le monsieur est arrivé pour l’aider à faire sa toilette. Après, il s’est mis sur le fauteuil, là, ici, comme ça. Et puis, je lui ai fait à manger, mais il n’avait pas très faim. J’ai insisté pour qu’il fasse un effort. Il était en rémission, il ne fallait pas rechuter. Bon, il a essayé, ça ne passait pas. Je suis venue me mettre sur le lit. Je lui ai proposé de se mettre à côté de moi. Une hésitation plus tard, il a accepté de venir près de moi. Je l’ai aidé, à cause de sa vertèbre, il s’est assis sur le bord du lit, il est parti à la renverse et m’a entraîné avec lui. Il a poussé deux soupirs, et il est mort, dans mes bras. Oh, ça a été très dur. Mais enfin, c’est comme ça. C’est la vie.

Nicole accuse un gros sanglot, évidemment…

Et alors, à trois semaines près, il est mort de la même manière que son papa, parce que mon beau-père est tombé, à cause d’une crise cardiaque, sur la place du village. Il est mort sur la place du village. Il y avait encore un urinoir sur la place à cette époque-là. Et à cinquante ans d’intervalles, mon beau-père le 18 mars et mon mari, c’était le 17 février, cinquante ans d’intervalles. Et les conditions pareilles. Quand les pompiers sont arrivés, ils ont quand même tenté. Je savais qu’il n’y avait plus rien à faire. Je n’étais pas idiote à ce point. Le SMUR est arrivé, ils l’ont allongé là, comme ça, sur le tapis. Et mon beau-père, quand on l’a ramené, on l’a allongé là, au même endroit. C’est pas possible, je revis les mêmes choses, cinquante ans après. Oh, vous savez, j’ai eu ma part. J’ai eu ma belle maman, quatre ans ici avec un Alzheimer, dans le lit médical, là sous la fenêtre. Ma maman, Alzheimer, qu’on a dû placer, parce que papa ne comprenait pas la maladie. Alors il disait qu’elle le faisait marcher, qu’elle le faisait courir. J’ai appelé ma sœur et je lui ai dit qu’on ne pouvait pas laisser papa et maman ensemble, parce que papa devenait un peu méchant, et il faut qu’on passe par le placement. Sinon, je l’aurais prise, maman. Mais c’était pas possible. Et après, j’ai eu ma marraine, la sœur de maman. Alors, vous voyez, j’ai eu ma dose. J’ai eu ma dose, c’est comme ça la vie.

Parce qu’elle était coquine, ma mère. Elle attendait que les soignants soient passés pour la toilette du soir. Et elle se resalissait, bien sûr. Comme ça, j’étais obligée de le faire… 

Philippe : C’est une saleté (la maladie.) Il y en a d’autres des maladies qui sont des saletés. Mais celle-là… Un de mes oncles, qui était prêtre en l’occurrence, est décédé d’Alzheimer. Ma sœur et moi, on est les deux derniers dans la fratrie, de dix enfants, sommes allées le voir. Il l’a appelé Monique, le prénom de sa sœur, qui était donc notre mère. C’est dur de vivre ça. Et on n’a pas bien vécu cette histoire. Puis, plus récemment notre tante, mariée au frère de cet oncle dont je viens de parler.

Nicole : Quand je suis arrivée, l’après-midi, la directrice de la maison (de repos) me dit que ça risquait d’être le dernier jour, les dernières heures. Je suis restée. Je voulais lui prendre la main, mais je n’ai pas pu la toucher. La peau était devenue du parchemin. Elle avait tellement maigri que sa peau craquait quand vous essayiez de la lui prendre. Alors, je lui ai dit, dans l’oreille : « Maman, tu te souviens de la chanson que tu m’avais apprise quand j’étais petite ? » Je vois qu’elle cligne des yeux. Et puis, je me suis mise à lui chanter. J’ai vu que ça l’a apaisée. Et puis, elle s’est endormie. 

La directrice était restée. Ils étaient supers, ces gens. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé après, ils ont dû fermer. Ils avaient racheté une vieille gendarmerie et l’avait toute transformée. Les chambres étaient formidables. Elle était infirmière et lui était enseignant. Donc, c’est lui qui s’occupait de tout ce qui était administratif et elle, tout ce qui était médical, avec du personnel et tout. Ils sont venus à l’enterrement.

Ingrid nous quitte, pour d’autres engagements. Non sans charger quelques cartons, bien entendu !

Nous reprenons notre discussion en regardant encore quelques photos.

Nicole : Il y a une dame que je rencontrais ici, son fils a été tué là-bas en Ukraine. Elle connaît une de mes amies. On s’est rencontrées. Il y a des jeunes Ukrainiennes qui étaient venues faire un concert dans une église. Donc, on était allées y assister. C’était joli, elles chantent bien.

Philippe : Oui, il y a des choses très chouettes. Oui, absolument. Oui.

Nicole aimerait connaître les noms des autres personnes sur les photos, mais je ne connais que celui d’Olga. Je propose de me renseigner… 

Nicole : Alors j’ai dit à la pharmacie que je ne faisais plus, mais elle donne encore.

C’est un monsieur qui est blessé. C’est une dame blessée. Et ils montrent les sets de pansements.

Philippe : Voilà. C’est pour ça que j’ai sélectionné ces photos-là, parce que plus que les gens, c’est aussi le fait que ça arrive dans les mains des gens. Voilà. On sait à qui on les a transmis. Et on sait que ça arrive aux bons destinataires. Et puis encore une fois avec le relais de cette Olga, qui est partout en Ukraine, je sais pas comment elle fait, mais on en a parlé tout à l’heure. Voilà. Elle, elle connaît. Elle connaît untel, qui connaît untel, enfin, c’est un peu une pieuvre cette femme.

Nicole : C’est bien qu’il y ait des gens comme ça. Oui.

Philippe : Oui, puis on sait qui ils sont. Donc…

Nicole : Et elle les vends ses petites cartes. (Il s’agit de Liubov, la gentille babucia dont nous parlions plus tôt.)

Philippe : Alors, je ne sais même pas si elle les vend parce que, quand elle est émue, elle les donne.

Nicole : Ah oui, d’accord.

Philippe : Moi, elle m’en a offert une bonne vingtaine. A Oksana, qui était avec nous, elle a donné un sac plein ! Je ne sais pas, il y en avait cinquante dedans. Elle était tellement contente de voir des Français. Parce que du coup, on était français. Même Oksana, qui est Ukrainienne, c’était une Française. Et tout le monde savait, sur le marché, qu’il y avait les Français qui étaient là. On était repérés. Mais c’était bienveillant, c’était…

Nicole : Oui, oui, oui. C’est un peuple bienveillant. Je vois même la maman d’Iryna, elle est ici en France. Ma belle-fille lui a trouvé du travail dans différents hôtels, elle fait des ménages. Et quand j’arrive… Oh, elle me prend dans les bras, elle est adorable.

Philippe : Oui, elles (ils) sont obligés d’accepter des métiers moins brillants que chez eux. Et en même temps, ils sont fiers et préfèrent ne pas demander, dépendre des autres pour s’en sortir…

Nicole : C’est comme le beau-père d’Iryna, à qui elle a aussi trouvé du travail, même s’ils ne s’entendent pas très bien. Il ne parle pas français. Le patron a répondu que l’essentiel c’est que ce soit un bon ouvrier. Il a travaillé là un moment, et puis s’est accroché avec un autre. Et bien, il est parti, comme ça. En plus il avait la maison. Qu’est-ce qu’on veut de mieux au départ ?

Et bon, quelques jours après, il est revenu voir Iryna, lui a demandé : « Est-ce que tu peux pas leur dire que je m’excuse ? » Iryna me dit : « Je me suis encore aplatie pour lui, bien qu’il n’ait jamais été merveilleux.

Le monsieur l’a reprit et l’autre jour elle me dit : « Mamie, il veut repartir en Ukraine ! » Je ne sais pas ce qui va arriver, on va lui mettre la main au collet, parce qu’il est jeune, il a une cinquantaine d’années.

Philippe : Ah oui, c’est sûr, c’est sûr.

Nicole : Oui, il va devoir aller faire la guerre. C’est stupide. Alors, je ne sais pas où ça en est, je ne sais pas, je n’ose pas poser les questions.

Philippe : C’est aussi pour ça que je me suis retrouvé extrêmement fatigué en fin d’année dernière. Parce que même si c’est impossible. Je me suis dit, je vais absorber un peu de leurs douleurs. Mais non, on ne peut pas…

Nicole : Non, on ne peut pas prendre pour eux.

Philippe : Je leur dis souvent, on peut être empathique, on peut être solidaire, on peut être tout ce qu’on veut. Je sais de quoi je parle. On ne saura jamais ce que vous avez profondément au fond du cœur et de l’âme.

Enfin, ce qui fait aussi très peur, c’est que ces dictateurs, qui se disent là pour le peuple… Le peuple, il n’en ont rien à faire. Ce qui les intéresse, c’est le pouvoir, la domination, la conquête. Et pour arriver à leurs fins, tous les moyens sont bons.

Nicole : Oui, c’est pas brillant, tout ça.

Philippe : Non, c’est pas brillant, comme vous dites. Mais bon, pendant ce temps-là, voilà, on fait ce qu’on peut. Oui. On aura fait ce qu’on a pu… Voilà. Si on doit ralentir, on ralenti.

Nicole : Moi, je dis si je connais des gens qui veulent donner, ou que je puisse vous aider encore, je le ferai.

Philippe : Oui. Je le sais bien. Et l’équipe du Portail de l’Ukraine le sait aussi.

Nicole : Mais à cette cadence, non, je ne peux plus.

Philippe : Et est-ce que vous pensez à être accompagnée psychologiquement ?

Nicole : Non.

Philippe : Et vous n’en voulez pas ?

Nicole : Non.

Philippe : D’accord.

Nicole : Là, vous savez avec mon voisin, maintenant, il me l’a dit l’autre jour. L’autre jour, c’était hier, et il me dit : « Ah, on voit quand même que maintenant, j’ai mangé avec toi, que tu n’es pas toute seule, t’es quand même plus rayonnante. » Bon, bah, j’ai dit : « c’est bien, c’est déjà ça. » Voilà. Non, c’est vrai qu’on s’entend bien, on a des atomes crochus, bon… C’est ça, c’est bon.

Philippe : Non, mais je dit ça, parce que ça fait du bien de parler.

Nicole : Alors, c’est rigolo parce que son épouse s’appelait Nicole. Je m’appelle Nicole. Son plus vieux fils s’appelle Pascal, mon fils s’appelle Pascal. Et sa plus vielle fille et la mienne sont toutes les deux séparées de leurs maris. Oh, bah. J’ai dit, on a des points communs pour discuter. En plus, ça va les deux grandes filles s’entendent bien. L’autre fois, on est allé manger tous ensemble au restaurant. Les enfants m’aiment beaucoup aussi. Et ils m’ont dit : « Vous venez, hein ? » J’ai dit : « Pourquoi, je viendrais ? Parce que… » « Parce que… Ça vous fait sortir, et puis… Vous vous occupez assez de papa pour qu’on sorte avec vous. »

Philippe : C’est bien. C’est bien. Bah oui.

Je vais charger le reste des colis qu’Ingrid a laissé, et nous terminons notre échange.

Nicole : Ah oui, ça mon mari…  Ma fille avait une adoration, elle a toujours une adoration pour son père. La première chose qu’elle m’a demandé : « Est-ce que tu voudrais me donner le hautbois de papa ? Je dis oui mais il y a ton frère aussi, qui a trois garçons. Est-ce que l’un d’eux ne voudra pas en jouer ? Donc j’ai demandé à mon fils, qui m’a répondu que non, si ma sœur veut le hautbois de papa, tu lui donnes le hautbois de papa. Donc je lui ai donné le hautbois. Il est sur une commode, dans le salon, entretenu et tout. Mais alors, curieusement, parce que là-bas à Megève, il y a des classes de musique. A l’école où vont les petits. Le premier, le plus vieux, qui va avoir 10 ans, pourtant il n’a jamais vu son grand-père jouer. Et… Parce qu’ils choisissent eux-mêmes l’instrument dont il veulent jouer. C’est pas le professeur qui l’impose. Il a choisi le basson. Et le basson, c’est le frère jumeau, si on peut dire, du hautbois. C’est quand même une drôle de coïncidence. L’autre, haut comme trois pommes, il a pris le trombone à coulisses. Il m’a bien fait rire. Il faut qu’il grandisse un peu avant de pouvoir le manipuler. 

La mélancolie rattrape Nicole qui ajoute que son mari n’a pas eu la chance de les voir grandir. C’est comme ça. Oui, c’est comme ça.

J’évoque alors mon besoin périodique d’interroger la fratrie au sujet des parents. Nous avons des vécus différents et les discussions peuvent être surprenantes, parfois.

Nicole : Des choses que vous auriez pu vivre avec eux… Non, parce que, en plus, avec l’âge, il y a des expériences vécues qu’on peut transmettre.

C’est surtout bien quand il y a quelqu’un qui l’écoute. Je crois.

Je dis que l’époque, pour les jeunes maintenant est très difficile.

Philippe : Souvent, je me suis dis, beaucoup moins maintenant, mais je me suis souvent dit que le fait de ne pas avoir d’enfants était un regret. Ce n’est plus vraiment vrai aujourd’hui, pour tout un tas de raisons. Mais effectivement, je me dis souvent, si j’avais des gamins, les lancer dans ce monde d’aujourd’hui…

Nicole : Je dis la même chose. Je dis si j’étais encore au début de mon mariage, je ne sais pas si j’insisterais pour avoir des enfants.

Philippe : Bon, allez. Je vais vous laisser.

Nous nous quittons cordialement, en nous remerciant de ce moment partagé. Entre les activités communes qui nous ont fait nous rencontrer et nos vécus respectifs qui nous ont menés jusque-là.

Vous savez maintenant, un peu, qui est Nicole Rochowiak, d’Abscon !

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