- L’indépendance de l’Ukraine est-elle menacée ?
- La stratégie politique à instaurer n’est-elle pas à la fois de continuer l’ouverture vers l’Europe tout en travaillant une démarche de pacification avec la Russie ?
- L’étude de l’histoire ne montre-t-elle pas que la Russie ne lâchera jamais l’Ukraine ?
- Ce n’est pas un conflit interétatique mais c’est le régime qui est en cause : le mythe de « Sainte et grande Russie » !
Ukraine entre révolution et évolution
Le titre de la conférence situait nettement le sujet et l’enjeu de la soirée-débat organisée dans le cadre de la Semaine internationale des établissements de l’Université de Lille1. Les intervenants illustraient bien le propos : l’un, Mr de Suremain, ex-ambassadeur de France en Ukraine, connaissant bien les sphères politiques instituées, l’autre, Pavel Yourov, metteur en scène de théâtre, de la société civile, non seulement témoin mais acteur des événements.
D’abord, quelques brèves vidéos furent projetés, tournées directement sur le Maïdan par des jeunes vidéastes regroupés en un collectif citoyen protestataire « Studio Babylone 13 ». Le parti-pris de ce collectif de jeunes citoyens engagés est de montrer, de l’intérieur, le Maïdan : les vidéos parlent d’elles-mêmes, des sous-titres expliquant les faits, pas de commentaires, des actes et surtout des visages. Tantôt la vidéo montre les protestataires, chantant faux leur hymne national ; tantôt un citoyen anonyme lançant un cocktail Molotov de fabrication artisanale en s’avançant seul au-devant de milices fortement armées et risquant une balle ; tantôt un piano blanc sur la neige sale où des musiciens jouent pour tous ; tantôt la fabrication de repas ou les soins donnés aux blessés, ou encore ce prête s’avançant au-devant des forces spéciales avec des mots de paix ou cette jeune fille récitant un poème ; puis les célébrations pour les morts. Des mots contre des armes, des mains nues contre des mitraillettes, des milliers de citoyens ordinaires dans leurs tenues ordinaires, malgré le froid, contre le pouvoir corrompu, bunkérisé, soutenu par les forces spéciales.
La force de ces vidéos réside dans l’image, dans le parti-pris de ces jeunes vidéastes à photographier la réalité brute et parfois brutale, avec un souci d’objectivité totale, avec la volonté de montrer juste la réalité telle qu’elle est, comme elle est. Il se dégage alors de ces images une vérité dont la lecture force le spectateur à accepter et admettre ce qui s’est passé.
Monsieur de Suremain a enchaîné en rappelant que, depuis son accession à l’indépendance, l’Ukraine n’a cessé d’évoluer : en 1991, l’indépendance a été votée à 92°/°. La situation de la nation était difficile puisque l’intelligentsia avait été éliminée. Mais le rejet du soviétisme, le refus d’un pouvoir central, de sa captation par la nomenklatura ont participé à la cohésion et à la mise en place de la nation. En réalité, dans la société civile, existait déjà, comme le montre Ryabchuk, un pluralisme de fait. Le régionalisme, par exemple, en était un : on était d’abord de sa province, de Kharkiv ou d’Odessa… Mais l’indépendance a fait apparaître les faiblesses de la nation post-soviétique.
La Révolution Orange de 2004 a fonctionné avant tout comme un révélateur des manques de la jeune démocratie : elle montra que les institutions n’étaient pas clairement structurées et que la Constitution elle-même n’était pas claire. Les deux protagonistes portés au pouvoir, Timochenko et Youchtchenko, n’étaient pas ceux qui l’avaient rédigée et ils se sont très vite heurtés à ce problème. Deux situations de fait se confrontaient ensuite : une société civile qui évoluait constamment depuis l’indépendance de l’Ukraine tandis que, dans le même temps, le monde politique se fermait sur lui-même. En 2010, Yanoukovitch a, une fois de plus, institué une verticale du pouvoir. Les Ukrainiens ont toujours eu horreur de la centralisation. Le refus du président ukrainien d’un accord à l’adhésion à l’Union Européenne a cristallisé la colère du peuple qui s’est senti bafoué par le pouvoir. Une fois de plus, le pouvoir ignorait les aspirations de son peuple. Le refus d’adhésion a agi comme un catalyseur mais c’est d’abord contre la corruption et l’irrespect des droits civiques que le Maïdan s’est soulevé. Les grandes villes ukrainiennes se sont mobilisées. Ce qui a effrayé le Kremlin qui a ensuite effectué un chantage et une guerre douanière, aboutissant à l’annexion de la Crimée.
Tout l’équilibre géo-politique est remis en cause et pose les questions suivantes dont les auditeurs se sont fait également l’écho :